Chapitre 2c nageur

> PETIT CONTE CONTEMPORAIN DU SÉNÉGAL POUR ADULTES



#1 Lamine à 5 ans


Au Sénégal on pourrait commencer ce conte par : il était plusieurs « foi », tant les gri-gri, le culte des ancêtres, les croyances des marabouts se côtoient avec chacun une manière différente d’aborder le Coran. Cette organisation de la religion musulmane au Sénégal est unique au monde. Depuis son arrivée au XIè siècle, l’islam s’est adapté aux diverses structures sociales des groupes ethniques ou des royaumes animistes rencontrés. Les marabouts ont remplacé les chefs et les sorciers dont le pouvoir soudait la tribu. Puis durant l’époque coloniale, le marabout est devenu un puissant guide spirituel et l’Islam un signe de résistance aux colons Français. Cette religion fait maintenant fortement partie de la vie idéologique et morale de chacun dans le pays. Avec aujourd’hui 95% de musulmans, la particularité de l’islam au Sénégal, c’est justement que cette religion se divise en plusieurs confréries dont les 2 principales sont : la Tidjane et la Mouride. Elles ont chacune leur chef : Cheik Omar Tall pour la Tidjane avec son lieu de culte et de pélérinage annuel à Tivaouane et Cheikh Ahmadou Bamba pour les Mourides à Touba .

Puis viennent les marabouts assurant la médiation entre la règle venue d’en haut et le commun des fidèles. Le talibé est lui comme Lamine, un simple élève d'une école coranique qui apprend l'arabe et le coran auprès de son marabout. Au départ, ces écoles les daaras, étaient uniquement situées en le milieu rural. Les talibés travaillaient dans le champ du marabout en échange de quoi, il leur fournissait une instruction musulmane. L’enfant évoluait dans le village et restait dans son environnement, familier et peu dangereux. C’était pour lui un rite de passage à l’âge adulte. Cette période au daara formait des hommes prêts à s’intégrer dans la société. Mais depuis, les crises économiques agricoles et plusieurs sécheresses ont réduit la sécurité alimentaire, alors de nombreux parents ont commencé à laisser leurs enfants aux marabouts qui les ont emmenés en ville, rompant ainsi le lien familial. Le développement de l’urbanisation des années 80 a fait le reste. Certains marabouts ont continué leur vocation pédagogique initiale, mais de nombreux autres ont trouvé une voie bien plus lucrative. Le marabout étant devenu aujourd’hui un père de substitution pour Lamine, il s’octroie donc tous les droits sur lui et les autres enfants du daara, qui de 5 à 15 ans doivent mendier pour lui dans la rue. Aujourd’hui Lamine récite en litanie chaque jour les versets du Coran, mais n’apprendra rien d’autre durant ces 10 années au daara, car son maître n’est plus confronté à la pression sociale du village qui le poussait auparavant à réellement enseigner quelque chose aux enfants et à prendre soin d’eux. Certains marabouts possèdent même plusieurs daaras et s’enrichissent ainsi sur le dos des enfants, souvent maltraités et abusés sexuellement. Leurs corps, leurs dessins et leurs comportements dans la rue en portent les traces.

Aujourd’hui en 2013, il semble que tout le monde profite du statu quo sur la question des talibés :
> Tout d’abord, certains parents qui se débarrassent d’un fardeau jugé trop lourd, car les pères polygames se retrouvent avec plusieurs femmes et souvent plus de 15 enfants à charge.
> Ensuite, ceux qui donnent des offrandes aux talibés et s’acquittent ainsi de leurs devoirs de musulman tout en se donnant bonne conscience.
> Enfin, les marabouts qui s’enrichissent sans efforts et souhaitent que cela continue. Inch Allah Lamine a 5 ans. Il n’a pas choisi d’entrer au Daara, qu’il quittera à 15 ans avec une identité religieuse. Mais aura t-il choisi librement le chemin de sa vie ?  




# 2 Ousmane à 20 ans

Les ONG évaluent le nombre de talibés à plus de 130 000 à travers le Sénégal, mais d’autres iront jusqu’à dire 1 million. Comme Ousmane, ils se regroupent dans les grandes villes du pays Dakar,Thiès, Kaolac, Ziguinchor, Saint-Louis, Mbour, ou encore Joal.

Nous sommes ici à Dakar la capitale . Ousmane nous amène à la gare routière où de nombreux talibés enfants, adolescents ou adultes mendient, errent et cherchent de petits boulots. Ils n’ont appris aucun métier, ne savent ni lire, ni écrire (pas même l'arabe d'ailleurs...). Désoeuvrés, nombre d’entre eux tombent dans la délinquance et augmentent ainsi le taux de criminalité du pays. Ce fléau hypothèque une partie de la jeunesse dont 60 % a moins de 25 ans. Ces talibés constituent une véritable source de revenus voire un fond de commerce pour leurs marabouts qui prétendent les initier à l’humilité et à l'endurance de l’Islam. Mais de telles pratiques n’ont pourtant rien à voir avec l'islam ou la tradition. D'ailleurs si certains donnent à ces enfants de la rue, d’autres cherchent à éviter ces talibés, car personne n'a envie d'être confronté à l'évidence de la réalité de cette faillite morale et humaine pour ces enfants de la rue. Nul ne veut reconnaître que certains d'entre eux sont violentés et violés, et qu'un jour comme Ousmane, ils pourraient faire payer ces abus à la société qui leur a fait subir : l’absence de famille, d’éducation et la pauvreté. Cette violence récurrente qu’ils subissent, les pousse à leur tour à reproduire ces mêmes sévices. Il serait donc intéressant d'étudier la corrélation entre la montée de la délinquance juvénile et ces enfants Talibés.

Beaucoup d’associations humanitaires se sont indignées et ont tenté de trouver des solutions pour libérer ces enfants exploités, en errance et dans la détresse, mais elles se sont heurtées à l'intransigeance des chefs religieux. L’État montre quelque bonne volonté, mais reste lui aussi confronté au pouvoir des confréries religieuses. Ces chefs spirituels se gardent bien de lutter contre les daaras, qui constituent leur réseau de présence au niveau local, et leur permettent par la suite d’enrôler les jeunes sans avenir dans les rangs de leurs fervents supporteurs. Ousmane a grandi il a 20 ans. Il va suivre maintenant l’orientation politique proposée par son marabout. Les talibés seront aussi les premiers contributeurs aux projets lancés par les chefs religieux, en contrepartie ces derniers leur fourniront les aides que l’Etat ne semble pas pouvoir apporter (logement, nourriture, vêtements, femme ! ) . Ainsi, les confréries religieuses protègent leur rôle tant politique que social et les hommes politiques financent les autorités religieuses en échange du vote de leurs disciples. De ce fait, quoi qu’il arrive, le religieux et le politique restent imbriqués. Le Président actuel, Macky Sall souhaite prendre ses distances avec les confréries, mais cela ne veut pas dire qu’il appelle à une nouvelle forme de gouvernance. Cependant récemment pour la première fois 7 marabouts ont été jugés par un tribunal. L'État a en effet la responsabilité de veiller à la sûreté, à la liberté et au bien être de son peuple. Comme le dit bien la devise sénégalaise : un peuple / un but / une foi. Le Sénégal reste toutefois l'un des pays les plus stables d'Afrique. Jamais secoué par un coup d’État , il abrite un ensemble des confréries musulmanes qui cohabitent jusqu’à présent assez bien, avec les quelques 5 % de chrétiens et animistes.



#3 Ismaël à 15 ans

A la proue de la pirogue le marabout guide aussi les pêcheurs. Comme son père, Ismaël à 15 ans est devenu pêcheur et comme lui, il part le matin quand le jour se lève après la 1ère prière. Car le Sénégal, pays le plus à l’ouest du continent africain présente une côte de plus de 700 km sur l’océan Atlantique qui s’étend de Saint-Louis, Yoff, Mbour, Joal au Cap Skirring, pour les plus grands ports de pêche. Cette côte très riche en sels minéraux est l’une des plus poissonneuse du monde. On y dénombre plus de 80 espèces de poissons (carpes, dorades rouges, espadons, truites de mer, thons, bars, barracudas, mérous, capitaines, sardinelles et tant d’autres). La pêche est donc l’un des premiers secteurs économiques du pays devant les phosphates, l’arachide, le mil et le riz. Le secteur tertiaire restant toutefois le plus important. C’est enfin le premier poste d’exportation.

Malheureusement cette richesse est convoitée et confrontée à 3 fléaux importants :
1. En premier lieu, la pêche pirate de gros navires étrangers (chinois, coréens, russes ) qui viennent pêcher illégalement et à une échelle bien plus importante que celle des pirogues locales. Les amendes sont restées peu dissuasives jusqu’à présent, mais le gouvernement sénégalais commence à les alourdir et souhaite introduire des peines de prison et même la saisie des navires. En attendant Ismaël reste confronté à la raréfaction des ressources et il est obligé d’aller pêcher de plus en plus loin en mer. Mais aller plus loin, c’est aussi prendre plus de risques (certaines pirogues chargées de 10 à 20 pêcheurs ne reviennent pas) et c’est dépenser plus en carburant, cela provoque donc une hausse des prix du poisson sur les marchés.
2. Deuxième fléau, le changement climatique et la hausse les températures marines qui réduisent fortement le phytoplancton, aliment de base des espèces marines.
3. Enfin, la surexploitation croissante de la plupart des stocks de ressources marines, alors qu’il faudrait au contraire instaurer un réel et durable repos biologique.

La pêche nourrit aujourd’hui près de 80% de la population sénégalaise en poissons frais, séché et fumé. Les techniques de conservation traditionnellement transmises par les femmes de pêcheurs permettent de transporter le poisson à l’intérieur des terres. Elles sont depuis peu acquises aussi par les hommes qui développent depuis les 40 dernières années un commerce à plus grande échelle avec utilisation de fours de fumage pour une exportation vers le Burkina Faso, le Mali, le Togo, le Ghana et la Guinée . Parallèlement plus d’une dizaine d’usines chinoises, coréennes ou russes se sont développées sur la côte pour transformer le poisson frais en farine destinée à l'aquaculture et à l'élevage asiatique et européen.

Ismaël rentre donc parfois avec sa pirogue vide. S’il choisit d’aider au salage et au fumage, il devra s’adapter à ces nouvelles méthodes industrielles de transformation du poisson qui le couperont irrémédiablement de son mode de vie naturel.



# 4 Boubacar à 30 ans

Boubacar comme tous les talibés, n’a pas grandi avec sa famille. Son père est mort quand il avait 11 ans. Il en a beaucoup souffert, alors devenu grand à 30 ans, il construit sa propre famille avec ses 2 femmes et ses 9 enfants. En introduction à ce conte, le griot nomme cette terre : la « Teranga » qui signifie hospitalité. Le Sénégal tire une grande fierté d’être le pays de la Teranga. Hospitalité pour l’autre, mais également au sein d’une même famille qui compte plusieurs femmes, tous leurs enfants, grands-parents, oncles, tantes neveux et cousins éloignés. L’ancien est toujours considéré avec le plus grand respect. Jeunes et anciens sont ensemble, les liens entre les générations demeurent solides. Ensemble la règle d’or c’est : solidarité et partage.

Les femmes ont en moyenne 5 enfants : 45 % des jeunes vont à l’école primaire, mais seulement 3% atteignent l’université. Dakar abrite d’ailleurs l’Université Cheick Anta Diop créée en 1957. C’est la plus ancienne des universités d’Afrique noire francophone. 80% des sénégalais parlent wolof, bien que le français soit la langue officielle. En dehors de Dakar, les familles vivent dans des concessions à l’organisation matriarcale. Les femmes restent toutefois soumises aux choix des hommes pour le mariage, puisque l’Islam permet aux musulmans de prendre jusqu’à 4 femmes. Chez Boubacar, plusieurs personnes de sa famille ne partagent pas les mêmes convictions religieuses. L’éducation aux valeurs religieuses et spirituelles demeure le point de départ de toute la formation humaine. Avant tout, que l’on soit chrétien, musulman ou adepte de la religion traditionnelle, chacun est initié à la connaissance de Dieu, à la prière. Les enfants apprennent généralement à prier avant de commencer à lire ou à écrire… Pour Boubacar, Dieu est la Source, le centre et le sommet de tout. La famille est sacrée. Confrontée à une situation de crise, à un contexte de pauvreté galopante, la famille sénégalaise « tient le coup » grâce à cette solidarité et à ce sens du partage qui n’est pas seulement un devoir ou une obligation morale, mais une réelle valeur. La famille joue donc un rôle important : chaque sénégalais qui a un travail, qui a émigré pour en trouver un, ou qui a eu la chance de faire des études pour en trouver un meilleur, doit non seulement faire vivre sa femme et ses enfants mais aussi le reste de sa famille. Boubacar lui est chauffeur et quel que soient ses revenus, il les partage avec toute la famille. Cette réelle forme de solidarité existe aussi chez les femmes. Entre elles, elles créé des tontines, sorte d’épargne collective qui leur permet d’affronter les coups durs, mais aussi d’organiser les cérémonies qui amputent un budget souvent plus important que l’éducation ou la santé.

Certains diront dans les pays occidentaux, selon l’appréciation, que ce rôle est écrasant. Certains peuvent être surpris par le choix de leurs priorités ou par leur pauvreté. Mais en Afrique ils trouvent étrange qu’en occident prime le manque de relations sociales, par le rejet de la communauté et par l’isolement. Au Sénégal, les femmes où les mères célibataires vivant seules sont quasi inexistantes. Paradoxalement les griots comme moi qui vous raconte ce conte contemporain, se retrouvent en bas de l’ échelle sociale. Pourtant Verbe de l’Afrique et de son histoire puisqu’il nous revient de glorifier le nom d’une personne et d’une famille et même de l’intégrer dans l’histoire, nous n’avions pas droit à l’inhumation. Alors nous reposons encore dans les troncs des Baobabs. Le 1er Président Léopold Sédar Senghor élu en 1962 et né à Joal (la ville où ont été prise toutes les images de ce conte) a abolit cette coutume ancestrale. Depuis, dans tout le Sénégal et particulièrement dans la petite île de Fadiouth (voisine de Joal), nous sommes enterrés à l’ombre des baobabs et reposons en paix comme les chrétiens et le musulmans : ENSEMBLE.



#5 Youssou à 25 ans

En quelques années, l’Afrique qui compte 54 pays est devenue le continent homophobe. Pourtant, l’Afrique c’est aussi d’une part : l’Afrique du Sud, un pays où les droits accordés aux homosexuels sont parmi les plus avancés au monde / le premier pays du monde à inclure dans sa Constitution en 1996 grâce à Nelson Mandela : l’interdiction de toute discrimination liée à l’orientation sexuelle / c’est aussi le premier État africain à légaliser le mariage homosexuel en 2006. L’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire étant jusqu’à présent les 2 pays les plus tolérants du continent.

Mais à part cette exception, plus de la moitié des pays de ce continent condamne légalement l’homosexualité, comme le Sénégal où Youssou vit à 25 ans dans la clandestinité. Les homosexuels encourent la prison à vie ou la peine de mort en Ouganda, en Somalie, au Soudan, au Nigeria et en Mauritanie, pays les plus répressifs. Aujourd’hui on affirme souvent en Afrique qu’il n’y a pas d’homosexuels sur le continent et que s’il y en a, leur existence serait l’effet de la « contagion » occidentale et de toute façon que l’homosexualité serait contraire aux valeurs africaines ancestrales. A l’évidence Sodome et Gomorrhe, la Bible et le Coran, sur la base desquels on prétend condamner l’homosexualité, sont des représentations issues du monde juif, chrétien ou musulman et en ce sens, ne sauraient incarner en tant que telles les valeurs africaines ancestrales. Pourtant plusieurs pays africains, après les indépendances, et suivant les législations des anciennes puissances coloniales d’alors, interdirent aussi l’homosexualité.

Alors que l’homosexualité a toujours été connue et pratiquée en Afrique : transgénérationelle, rituelle & initiatiques comme en Grèce Antique pour préparer le garçon à son rôle d’homme adulte. Le néologisme « homosexualité » n’est apparu en occident qu’au XIXème siècle et s’impose au XXème jusqu’à devenir identitaire . En fait en Afrique souvent le sexe se pratique davantage qu’il ne se dit ; même à travers les contes lorsqu’il est abordé, c’est par le biais de métaphores, d’analogies, d’ellipses.

Toutefois à partir des années 80, l’homosexualité a commencé à devenir visible en Afrique avec l’apparition du Sida, dont le virus est apparu en Afrique Centrale. Malheureusement en occident, l’épidémie a été rapidement présentée comme étant la maladie des noirs et des homosexuels donc n’intéressa pas grand monde. Le même problème se posa en Afrique noire, mais inversé et avec des conséquences beaucoup plus graves : maladie des homosexuels, le sida était officiellement une affaire de blancs, puisque l’homosexualité n’existe pas en Afrique. Pendant longtemps et tristement encore aujourd’hui cette vision est un obstacle majeur à la prise en charge de personnes atteintes par le VIH et l’acceptation du choix de Youssou d’aimer les hommes. On ne le dit jamais, mais dans ce contexte le racisme et l’homophobie ont joué un rôle capital dans la diffusion du sida et ont coûté très cher à l’humanité.

Les bouleversements liés à la mondialisation provoquent sur tous les continents des replis identitaires et cela se produit plus particulièrement en Afrique. Le sujet est devenu une source de tensions entre Nord et Sud. De nombreux états africains ont le sentiment d'un forcing des Occidentaux pour leur imposer leurs valeurs : une culture gay et lesbienne sans rapport avec le contexte culturel des pays en question. Nombreux sont les conservateurs africains, soucieux de préserver les « valeurs » africaines de toute contagion occidentale ». Au nord, la question est maintenant celle du mariage des couples homosexuels de la GPA , de la PMA. Au sud, la question reste la dépénalisation, avec paradoxalement d’un côté une volonté de durcissement pour des raisons politiques et religieuses et d’un autre côté avec internet, les médias, les associations… une avancée, car l’homosexualité gagne malgré tout en visibilité.

Ainsi, au Sénégal, à partir de 1986, des campagnes de prévention du sida ont été menées avec constance et grâce à cette action, aujourd’hui, le virus n’atteint pas plus de 2% de la population, faisant ainsi de cette nation, le pays le moins touché d’Afrique. Toutefois, l’homosexualité y reste encore interdite par la loi et toujours passible de 5 ans de prison. Si bien que Youssou devra continuer à vivre son homosexualité sans la revendiquer comme une identité.

La mondialisation est là, mais heureusement les cultures restent bien ancrées. S’il est vrai que l’homosexualité est et a toujours été de toutes les cultures, sa perception sociale, sa désignation, son interprétation bref sa conceptualisation , n’est pas la même dans tous les horizons sociaux. Alors pourquoi ne pas laisser à l’Afrique le temps nécessaire à ses propres évolutions ?


#6 Mamadou à 10 ans

Mamadou s’est enfui du Daara, car sa foi il ne l’a pas trouvée dans le Coran. D’ailleurs souvent il était battu par le marabout quand il rêvait. Sans doute dans sa famille qu’il ne connaît pas, y avait-il un griot qui chantait et racontait des histoires, comme dans la famille de Youssou N’Dour, grande star au Sénégal, en Afrique et dans le Monde. Comme lui à son âge, il sent que sa vocation est là : dans la musique. L’art n’est-il pas aussi le reflet d’une société et sa plus grande richesse ? Celle qui se transmet de génération en génération. Celle qui peut atteindre un langage universel. Celle qui peut être aussi un guide dans notre quotidien et nous permettre de nous dépasser, d’atteindre la grâce que l’on cherche tous.

A 10 ans, Mamadou vient de trouver le poisson d’or, celui qui lui permet de croire en lui et de rester libre. Car la Liberté, l’Art et l’Amour, il ne connaît pas encore, mais il sent que pour lui tout est là . Pour le moment il a encore besoin du Dieu qu’il s’est créé : Youssou N’Dour, mais plus tard il saura s’en émanciper et trouver sa propre voie. Comme lui, à 10 ans il raconte déjà des histoires en musique. A 13 ans, il fera son 1er concert et à 20 ans montera son propre groupe, tout en faisant évoluer encore le Mbalax, musique typiquement Sénégalaise à base d’instruments à percussions comme le Sabar. Le Sabar, c’est aussi une danse qui influence les petits & grands comme on l’a vu tout au long de ce conte, et laisse dans l’air une sensualité ambiante. Mamadou, il aime bien ça aussi sa « Sénégalité ».

Pour le moment il danse, joue, dessine, rêve avec sa guitare et partage ce rêve avec ses copains talibés. Mais plus tard, comme son Dieu, il sait qu’il lui faudra faire une carrière internationale pour devenir un véritable ambassadeur de la musique africaine. Comme lui, il deviendra Ministre pour défendre aussi la culture africaine et transmettre des messages de tolérance et de paix, en démontrant que la rencontre, souvent violente, entre des "mondes" éloignés peut donner naissance malgré tout à un véritable dialogue. Mamadou a la foi en une vérité qui rime avec : Amour et partage, ouverture et conscience, expression et dépassement de soi. Car se dépasser, ce n’est pas ÊTRE ou AVOIR, mais FAIRE, avec l’envie de créer et transmettre. Lorsque l’énergie de cette étoile ne brille plus et que le poisson d’or ne vole plus, c’est la vie qui s’éteint. Mamadou croit simplement en la beauté de la vie. Qui aurait imaginé que l’Afrique, qui n’existe que difficilement sur la scène internationale, viendrait, à travers la voix d’un griot comme Youssou N’Dour, faire la leçon avec son disque « ALLAH-EGYPTE », composé pour raviver le dialogue interrompu entre l’Orient et l’Occident ? Ses chansons racontent l’Afrique et l’Orient qui se rencontrent en Egypte à travers leur passé et leur présent. On ne peut oublier que Youssou N'Dour vient du pays de Cheikh Anta Diop, celui, qui au Caire en 1974, apprit au monde entier que l’Afrique fut le berceau de l’humanité, grâce notamment à l’Egypte ancienne, à l’Egypte négro-africaine.

Un jour Mamadou saura affirmer son identité, pas celle du Marabout, il saura par la négation, ou plus précisément l’affirmation de la négation, que le refus de l’autre, de s’assimiler, de se perdre dans l’autre peut être aussi l’affirmation de soi. La négritude, c’est la négation de la négation de l’homme noir. C’est l’ensemble des valeurs negro-culturelles africaines, sa personnalité collective. C’est une famille que Mamadou n’a pas eue. Quel chemin parcouru dans l’histoire depuis Nelson Mandela qui vient de s’éteindre cette année jusqu’à Barack Obama, premier Président noir aux Etats-Unis et quel chemin il reste encore à Mamadou pour vivre, apprendre et donner.…  
 


© NATHALIE LUYER