NATHALIE LUYER - PHOTOGRAPHE
> PETIT CONTE CONTEMPORAIN DU SÉNÉGAL POUR ENFANTS J’ai 5 ans et je vis au Daara. Je ne sais pas depuis quand. Je ne sais pas qui sont mes parents. Je ne m'en souviens pas. Ma seule famille c'est le Daara. Je ne sais pas lire, écrire et compter. J’apprends seulement le coran, par cœur. Dans un coin, j'ai une petite paillasse. Pour me nourrir, le marabout m’envoie mendier. C'est difficile parce que nous sommes beaucoup et que je suis tout petit. Parfois on me rejette, alors je suis triste. Mon marabout garde tout ce que je rapporte. Je vois que les grands font la même chose. Mon marabout est riche: il a 3 Daaras, 3 femmes et il est très gros. Il me bat si je ne récite pas bien mes sourates ou si je ne rapporte rien. J'ai décidé que je ne pleurerai plus jamais! Voilà. C'est mon enfance. Je suis un Talibé à Dakar, comme tous mes copains, je cherche des petits boulots, près de la gare routière. Ou bien je mendie, ou je vole… Ça dépend! Tous les jours ça recommence. Souvent j’ai faim. Mais, à vingt ans, je veux profiter de ce que je gagne. Avec les copains on s’amuse bien, même si cela devient dangereux avec la drogue. On dort n’importe ou dans la rue. Parfois c'est dur, mais on se soutient. Il paraît qu'on est plus de 130 000 talibés dans tout le Sénégal. Les petits travaillent pour les grands en échange de leur protection. On vit en bandes et on appartient tous à des confréries dirigées par un marabout. Il y en a beaucoup, des plus ou moins riches, alors parfois, il y a des bagarres. Mais chacun son territoire ! Comme cela, les confréries peuvent nous protéger. On aide les politiques que nous choisit le marabout. On va dans les cases et on dit pour qui il faut voter. Parfois on menace. En échange, les politiques et la police nous laissent relativement tranquilles. On connaît tout le monde et tout le monde nous connaît. Les marabouts et leurs confréries tiennent tout. La ville est quadrillée, chaque quartier, chaque bidonville a son marabout, sa confrérie et ses talibés. Partout, les marabouts qui nous protègent de la police, tiennent les élections. A tous les niveaux, les politiques les craignent et les respectent. Alors, rien ne change.
Au port de Joal, tout petit, j’ai appris à pêcher comme mon père et mon grand-père. Pourtant, je ne sais ni lire ni écrire, car au Daara je n’ai appris qu'à réciter le Coran. J'emmène des familles entières en brousse, avec leurs animaux. Quand la voiture est pleine, j'arrête de prendre des clients. Je prends pas cher, et tout le monde le sait. Alors, j'ai partout des amis. Je connais tout le pays, toutes les routes et tous les postes d'essence. Je fais très attention à mon taxi. Je ne laisserai jamais personne d'autre que moi le conduire ou le réparer. C'est mon seul moyen de gagner de l'argent pour nourrir ma famille. J’ai 2 femmes et 9 enfants. Avec nous, il y a mon grand-père, ma mère, mes frères et sœurs, mes oncles, les parents de mes femmes, mes enfants… Tout l'argent que je gagne va à ma famille. J’ai une grande responsabilité, mais ils m’aident bien et on partage tout. La famille, c’est sacré. Il paraît que ce n'est pas pareil dans les grands pays hors de l'Afrique. Je ne comprends pas, on devrait tous s'entre-aider! Comme avec notre Teranga, l'hospitalité sénégalaise. Nous accueillons tout le monde, qu'il vienne d'ici ou de l'étranger, qu'il soit jeune ou vieux, noir ou blanc, musulman ou chrétien. C'est pareil au cimetière: nous les enterrons côte à côte quelle que soit leur religion... et même maintenant les griots qui avant n'avaient pas le droit à une sépulture. Tous ensemble, nous vivons bien dans ma cour et dans les cases que j'ai construites avec l'aide des voisins... Nous avons même l'électricité dans la salle commune. Nous rions souvent, et quand il y a des disputes, on en parle tous et c’est l’ancien qui tranche. J’espère que mes enfants trouveront du travail. Mais pour cela, il faudrait qu’ils aillent à l'école pour apprendre à lire et à écrire. Et je n'ai pas assez d'argent. Alors, malgré les hurlements de mes femmes, j'ai décidé de mettre les trois aînés au Daara. Elles auraient voulu que je les envoie à l'école, comme les autres. Mais, c'est moi qui décide, finalement. D'ailleurs, j'ai trouvé un bon marabout qui les nourrit et leur apprend le Coran. Comme cela, je pourrais gagner assez d'argent pour acheter la télévision, satisfaire ma famille et faire d'autres enfants. #5 Youssou à 25 ans Au Daara, j’ai rencontré des garçons que j’ai aimés.
Au Daara, ça ne plaisait pas. Le marabout m'interdisait de chanter. Il voulait seulement que je récite par coeur les sourates du Coran.
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